SIGNA
2013
Revue éditée par le Comité
pour la difusion de la recherche
en archéologie gallo-romaine
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Tijdschrift uitgegeven door het Comité
voor de verspreiding van het onderzoek
in de Gallo-Romeinse archeologie
Comité de rédaction / Redactieraad
Catherine Coquelet, Marie-Hélène Corbiau, Wim De Clercq, Stéphane Demeter, Marc Lodewijckx,
Claire Massart, Nicolas Paridaens, Alain Vanderhoeven, Fabienne Vilvorder
Mise en page / vormgeving
Nathalie Bloch
Couverture / voorblad
Nathalie Bloch, Nicolas Paridaens
Étendard de Flobecq / Militaire standaard van Flobecq © Musées royaux d’Art et d’Histoire / Koninklijke Musea
voor Kunst en Geschiedenis (Bruxelles - Brussel)
Abraham Ortelius, Belgii Veteris Typus, 1594 © Museum Plantin-Moretus (Antwerpen)
Comité pour la difusion de la recherche en archéologie gallo-romaine /
Comité voor de verspreiding van het onderzoek in de gallo-romeinse archeologie
Catherine Coquelet, Faculté de philosophie, arts et lettres, Université Catholique de Louvain (Louvain-laNeuve) / DGO4, Direction de l’Archéologie, Service public de Wallonie (Liège)
Marie-Hélène Corbiau, Département d’Archéologie, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (Namur) /
DGO4, Direction de l’Archéologie, Service public de Wallonie (Namur)
Wim De Clercq, Historical Archaeology Research group, Ghent University (Gent)
Stéphane Demeter, Laboratoire d’Archéologie à Bruxelles, Direction des Monuments et Sites (MRBC) Laboratorium voor Archeologie in Brussel, Directie Monumenten en Landschappen (MBHG)
Marc Lodewijckx, Onderzoekseenheid Archeologie, KU Leuven.
Claire Massart, Musée royaux d’Art et d’Histoire - Koninklijke Musea voor Kunst en Geschiedenis
(Bruxelles - Brussel)
Nicolas Paridaens, Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine, Université libre de Bruxelles (Bruxelles)
Alain Vanderhoeven, Agentschap Onroerend Erfgoed, Vlaamse Overheid (Brussel)
Fabienne Vilvorder, Centre de Recherches en Archéologie nationale, Université Catholique de Louvain
(Louvain-la-Neuve)
Contact
Nicolas Paridaens (nicolas.paridaens@ulb.ac.be), Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine (CReAPatrimoine) CP175 - Université libre de Bruxelles, 50 av. F. Roosevelt, B-1050 Bruxelles
Impression
Presses Universitaires de Bruxelles a.s.b.l. - Université libre de Bruxelles, 42 av. Paul Héger, B - 1050 Bruxelles
http://signaromana.wordpress.com
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ISSN 2034-8746
Une languette en plomb inscrite et torsadée du sanctuaire d’Aiseau-Presles
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Une languette en plomb inscrite et torsadée du sanctuaire d’Aiseau-Presles
Marie-hérèse Raepsaet-Charlier & Georges Raepsaet
Une languette en plomb portant une inscription
a été découverte en 2012 dans le sanctuaire de
« La Taille Marie » à Aiseau-Presles. Elle provient
de l’empierrement situé à l’ouest du temple (voir
Paridaens, ce volume), dans l’angle N/O de la zone
B, juste avant le talus marquant la limite nord du site.
Description
Fig. 1. La languette en plomb torsadée. On distingue, au
centre, les lettres AL (cliché A. Darchambeau © CReAPatrimoine-ULB).
Bandeau en plomb torsadé portant une inscription
gravée en capitales soignées avec apices. L’objet
mesure 54 mm de long, 12 mm de haut et 2 mm
d’épaisseur (Inv. AP12.025). Il pèse 11 grammes.
Les lettres ont une hauteur de 8 mm. Il n’y a pas de
points de séparation entre les lettres.
immédiatement sens. Toutefois on peut émettre
l’hypothèse qu’il s’agit probablement d’un nom.
Si l’on envisage un nom romain sous la forme de tria
nomina, il faut supposer des abréviations ; aucune
hypothèse n’est satisfaisante.
II (incomplet) pourrait correspondre au prénom
Ti(berius). Le seul gentilice qui serait alors
envisageable serait Altius attesté à Xanten (CIL XIII
8614). Altianius est un dérivé et Altilius n’est connu
qu’en Italie (2 att.). Le seul cognomen possible serait
Inn[ocens/centius] (unique occurrence à Cologne
CIL XIII 8324).
I (incomplet) pourrait correspondre au prénom
T(itus). Le seul gentilice serait alors (Ialius ou) Iallius
pour ne pas proposer des noms indigènes rarissimes
très peu probablement abrégés comme Ialdanius
ou Ialehenius. Le surnom serait inédit stricto sensu,
formé sur un gentilice Tinnius italien et très rare.
Si l’on adopte la lecture H, aucun prénom n’existe.
Un gentilice commençant par H ou HAL renvoie à
quelques rares noms indigènes habituellement non
abrégés.
Lecture : IIALTINN[-] ou HALTINN[-]
La languette est complète à gauche et cassée à
droite. L’inscription est bien calibrée, contenue à
la partie inférieure par une très légère et ine ligne
de cadrage (ordinatio) à peine perceptible. Une ine
ligne horizontale est également perceptible au bord
supérieur qui correspond au pli de cassure et qui
coupe partiellement les lettres, à environ un quart de
leur hauteur réelle supposée. À l’extrémité droite le
pli et la cassure se sont produits dans la haste verticale
droite du 2e N. Il n’est pas clair si le in trait entre
les deux hastes verticales du début correspond à un
trait volontaire qui donnerait un H ou dérive d’un
accident. Les lettres étant incomplètes dans le haut,
surtout à gauche, toute lecture sûre est impossible.
La technique d’écriture des lettres est assez
particulière. Les lettres sont « frappées » à l’aide d’un
ou plusieurs instruments ou poinçons ou coins, par
lettres ou membres de lettres. La graphie est très
soignée et proche de celle des inscriptions lapidaires.
L’autre possibilité serait de considérer que nous avons
afaire à un nom unique de pérégrin (qui aurait
pu être suivi du nom du père au génitif à la ligne
suivante).
Il faudrait alors lire Haltinn[us ?]. Ce nom est
inconnu. Toutefois on pourrait songer à une graphie
avec le H aspiré germanique qui donnerait un nom
apparenté à Caldinius (CIL XIII 8215 à Cologne,
p. ex.). D’autres noms comme Haldacco (ILB 35 à
Lecture
La lecture proprement dite des lettres et leur
compréhension restent problématiques notamment
parce qu’il ne s’impose ni coupure ni division et
que la suite des lettres en elle-même ne fait pas
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M.-Th. RAEPSAET-CHARLIER & G. RAEPSAET
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2,5cm
Fig. 2. Représentation déroulée de la languette d’Aiseau-Presles (dessin G. Raepsaet ; DAO N. Bloch © CReA-Patrimoine-ULB).
que cet objet provenait avec d’autres ofrandes d’un
petit temple situé dans la même cité des Tongres. Le
matériau de la languette d’Aiseau-Presles, le plomb,
présente par contre une forte connotation négative
qui en fait le support des tablettes de malédiction
(deixiones) qui étaient rédigées pour faire condamner
par la divinité implorée une personne haïe que l’on
poursuivait pour vol, abandon, trahison, tromperie,
adultère etc. Le texte de ces déixions comprenait
au minimum le nom de la (ou des) personne(s)
maudite(s), souvent celui de la divinité priée et la
formule d’exécration, mais aussi des explications sur
le crime ou des descriptions des sanctions espérées.
Le texte était gravé sur une mince feuille de plomb,
à la pointe, en écriture cursive. On recourt parfois à
des lignes de guidage. Un exemple a été retrouvé dans
le petit temple d’Autelbas, dédié sans doute à Mars
Camulus (AE 1989, 537 = ILB2, 171). Des déixions
étaient fréquemment déposées dans des sanctuaires,
comme à Bath en Grande-Bretagne (déesse Minerva
Sulis) ou à Mayence (Cybèle et Isis). On en trouve
aussi dans des sépultures ou dans des lieux de mort
comme les coulisses des amphithéâtres (à Trèves
par exemple). La languette d’Aiseau-Presles ne peut
toutefois pas être identiiée comme une pièce de ce
type. L’écriture est en capitales soignées, la plaquette
de plomb est épaisse et il y a eu manifestement à
la fois une coupure de la plaquette et une torsion
systématique. On s’apparente donc plutôt soit à
un objet « sacriié » comme une ofrande religieuse
délibérément cassée ou tordue pour en faire la
propriété unique du dieu : dans ce cas toutefois l’usage
du plomb est problématique. Soit à un objet « tordu »
pour accentuer l’efet magique nuisible comme dans
le cas des pratiques magiques négatives que certains
chercheurs apparentent aux rites « vaudous ».
Namur), Haldania (CIL XIII 8387 à Cologne) sont
construits sur la même racine *hald que haldan/haltan
« tenir » avec des variantes d’orthographe liées d’une
part aux évolutions linguistiques de l’indoeuropéen
au germanique (en particulier C, K, Ch, H)1 et à la
diiculté d’écrire des noms indigènes en lettres latines
dans un contexte romain. Songeons par exemple aux
variations Ahucco, Hahuco, Chaucus, Cauchus et
Matronae Ahueccanae en Germanie inférieure.
Avec toutes les réserves qu’imposent le doute sur le
déchifrement et l’absence de parallèle immédiat, c’est
la lecture que nous proposerons. Un nom germanique
en pays tongre ne constitue en efet aucune diiculté
puisque la grande majorité des noms indigènes de la
cité sont germaniques2.
Interprétation
L’objet est particulièrement énigmatique et on ne
peut actuellement, dans l’état de nos recherches,
proposer de pièce comparative satisfaisante. Il ne
semble pas que l’on puisse penser à une simple
étiquette de marchandise ni à un plomb de douane
comme on en a retrouvé de nombreux à Trèves car,
en dehors du matériau, toutes les caractéristiques
techniques seraient diférentes. La languette doit
sans doute être interprétée comme une ofrande à
caractère magique. Les recherches de ces dernières
années dans le monde antique, y compris les régions
gallo-romaines, ont mis en évidence une grande
difusion des rituels magiques, faisant corps avec les
pratiques religieuses classiques et souvent intégrés
à des sanctuaires oiciels. Cette magie pouvait être
positive comme dans le cas des vases de Chartres
récemment publiés, qui présentaient des prières
inscrites, ou encore dans le cas de la tablette en or
inscrite de Baudecet (AE 1993, 1203 = ILB2, 167),
diicile à lire et à interpréter de manière déinitive,
mais dont le matériau noble par excellence faisait
un objet à valeur éminemment positive. On notera
1 WEISGERBER 1968, p. 146-148.
2 RAEPSAET-CHARLIER 2011.
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Une languette en plomb inscrite et torsadée du sanctuaire d’Aiseau-Presles
Raepsaet-Charlier M.-h., 2011. Les noms
germaniques. In : Dondin-Payre M. (éd.), Les
noms de personnes dans l’Empire romain, Bordeaux,
p. 203-234.
Bibliographie
Audollent A., 1904. Deixionum Tabellae, Paris.
Bevilacqua G., 2010. Scrittura e magia. Un repertorio
di oggetti iscritti della magia greco-romana, Rome.
Rey-Vodoz V., 2006. Ofrandes et rituels votifs
dans les sanctuaires de Gaule romaine. In : DondinPayre M. & Raepsaet-Charlier M.-h. (eds.),
Sanctuaires, pratiques cultuelles et territoires civiques
dans l’Occident romain, Bruxelles, p. 219-258.
Gordon R. & Marco Simon F. (eds.), 2010.
Magical Practice in the Latin West, Leiden.
Kiernan Ph., 2009. Miniature Votive Oferings in the
Roman North-West, Mainz.
Weisgerber L., 1968. Die Namen der Ubier, KölnOpladen.
Martin M., 2010. Sois maudit ! Malédictions et
envoûtements dans l’Antiquité, Paris.
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